mardi 28 décembre 2010

Une évocation du temps des moissons en 1944

De tous les travaux faits par les grandes personnes, ce qui me plaît le plus, c'est de les voir faucher un champ de blé.
Les hommes, portant chacun leur outil sur l'épaule, prennent place de grand matin en lisière du champ, éloignés les uns des autres d'environ quatre mètres. Sans se presser, après avoir donné un dernier petit coup de pierre à affûter sur les lames brillantes, ils se mettent à l'ouvrage.
Leur taille se balance au rythme du va-et-vient des faux, ils avancent régulièrement et les blés tombent tous du même côté, à gauche du faucheur.
Lorsque les hommes se sont un peu éloignés, les femmes interviennent. Elles relèvent les blés, les rassemblent en gerbes, et en quelques heures le champ est moissonné.
Bien liées par groupes de cinq, les gerbes ressemblent de loin à des groupes d'enfants en train de comploter. A quel mystérieux conciliabule les blés se livrent-ils donc au soleil couchant ?
Parlent-ils de leur merveilleux destin qui les transformera demain en nourriture pour les habitants de la Terre ?
Parlent-ils du fabuleux bonheur que connaîtront ceux qui recevront la consécration du Pain partagé ? Pensent-ils que le choix des hommes se portera sur les plus beaux d'entre eux pour les rendre à la terre sous forme de semence ?
Oui, c'est de cela que parlent les gerbes blondes et dorées serrées au crépuscule les unes contre les autres. De tous les travaux d'hommes, je n'en connais pas de plus beau que celui-là.

Extrait du livre Bye Bye Geneviève ! écrit par Geneviève Duboscq Collection "Vécu" de Robert Laffont

La corvée des betteraves et des topinambours.

De tous les côtés on déplore le mauvais temps précoce de cette année 2010. Moyenne saisonnière inférieure à la moyenne, neige, température négative, gelée et tout le tralala.

Ce n’est pas une nouveauté, précocité sûrement. Mais personne ne peut oublier les hivers qui arrivaient avant l’heure alors que les choux vaches et betteraves n’étaient pas engrangés. Il fallait s’harnacher de vêtements chauds, de bottes dans lesquelles les pieds gelaient pour effeuiller les betteraves.


Obligation pressante avant que la glace ne les endommage. On tordait à la main les feuilles remplies de gelée et souffler sur les doigts ne les réchauffait guère.
Effeuillage, ramassage des betteraves dans le tombereau
Les sillons paraissaient interminables parfois n’y tenant plus on sortait le briquet de la poche pour allumer un peu de feu avec quelques brins de paille dont on s’était muni et quelques brindilles. Vrai « feu de bergère » qui ne voulait point se consumer. C’était une illusion de chaleur…
Betteraves prêtes à être chargées dans le tombereau
Puis bien alignées sur la terre, on reprenait les betteraves et on les lançait dans le tombereau pour les acheminer dans la grange. Là, les femmes étaient chargées de les relever afin de remplir le fond et des les échafauder en hauteur petit à petit. Sur le devant, on construisait avec les plus longues, un petit muret pour les arrêter.

On se relevait souvent portant les mains au dos pour se soulager quelques instants. Plus le cheptel augmentait plus la récolte était importante. On faisait un grand ouf de contentement à la dernière « tomberée ».
Arrachage et ramassage modernisé !
Les topinambours étaient aussi des produits du froid. Arrachés, il fallait gratter la terre pour les rendre propres. Pour les ramasser on essayait de mettre des gants. Quel travail !!!

Comme disaient nos grands-mères, ce n’était pas un métier « échauffant ».

Heureusement que les grands-parents entretenaient le feu et faisaient bouillir la marmite. C’était le bon revers de la médaille.

lundi 27 décembre 2010

Le maïs et autres cultures de plein champ

- Que de maïs dans les champs, Mamie ! ces récoltes étaient aussi abondantes dans cette période dont tu me parles ?

- Non ma petite Alice, c’était des mini-récoltes par rapport à aujourd’hui, pas de commercialisation, seulement de la production pour les besoins de la ferme.

On confiait à la terre le maïs grain par grain derrière l’oreillée du brabant. On passait le « hérisson » une petite herse articulée en ½ lune munies de 2 manchons, tirée par un cheval. La terre s’uniformisait.

Quand la plante commençait à grandir un peu, on semait à chaque pied des haricots qui grimpaient sur la tige.

- Pourquoi Mamie ?

- Parce que les propriétaires devaient économiser la terre, les parcelles étaient petites et souvent peu nombreuses. Par contre, après la récolte des haricots l’été, celle du maïs grain attendra le mois de novembre.

Les hectares cultivés servaient, à part au blé, essentiellement à la nourriture des bêtes.

Donc il fallait être perspicace et organisé. Dans le maïs on semait des navets à la volée, un coup de houe entre les rangs et voilà une future récolte pour les vaches.

Le maïs se semait très épais pour faire du « garouillaud » qui subvenait en complément du pâturage pour les bovins. On le fauchait à la faux et on remplissait le tombereau à la fourche.

- Mamie, ce système annonçait peut-être l’ensilage ?

- Ce maïs ne produisait pas de grain, on l’utilisait jeune sans épis bien sûr.

La récolte du maïs grain attendait les ramasseurs vers le mois de novembre. Travail fastidieux qui consistait à casser les épis et à les déposer un à un dans le tombereau qui se basculait dans la grange.






Les épis étaient alors « épigouillés » à la veillée. Heureusement que tout existait à une petite échelle.

Quand la récolte s’intensifia on pouvait voir les séchoirs à maïs aux abords des fermes. Le maïs y passait ainsi l’hiver dans ce qui était aussi appelé un crible à maïs.


C’était aussi le moment de planter les topinambours. Ce tubercule était coupé en deux car là aussi il existait plusieurs germes. On les faisait « à plat », c'est-à-dire derrière le brabant toutes les 3 « oreillées ». Culture peu sensible, un coup de bêche on les « chaussait », on les recouvrait profondément avec la charrue. Elles attendaient la récolte, au début de l’année suivante. Cet aliment était connu pour le bétail, il était très précieux pour l’engraissement des bœufs et des vaches durant la fin de l’hiver. Les cochons eux aussi avaient leur part. On les arrachait à la charrue – la gelée commençait à décoller la terre, puis à l’aide d’un « piardon » on finissait de les enlever du trognon. On les mettait en rang pour les ramasser – on disait qu’on « secouait les topines ». Il a fallu la guerre de 40 pour le réintroduire dans l’alimentation humaine.


Dans les années 50 on s’aventura dans la culture des « oeillettes » prémices du colza. On espérait de l’huile de cette plante aux fleurs multicolores qui était en fait du pavot (sans mauvaise réputation). La France reste d’ailleurs dans les années 2000 le 3ème producteur mondial de cette variété cultivée pour ces très petites graines que l’on retrouve sur certains pains par exemple.

Pavot noir ou oeillette
La navette (Brassicaceae) trouvait également une place dans la famille des oléagineux et était cultivée pour les graines ou comme plante fourragère. La récolte se faisait avec une sorte de faucheuse. Le battage s’effectuait à la machine à battre.

Navette en fleur
Alors que la moutarde est aujourd’hui considérée comme engrais vert, on l’utilisait dans les années 50 pour son huile.

jeudi 23 décembre 2010

La culture de la vigne

Nous voici, ma chérie, dans une période transitoire qui permet de s’occuper de la vigne. Petite surface à entretenir parce qu’elle fournit la consommation familiale seulement.

La vigne s’est reposée en perdant ses feuilles, la végétation s’est arrêtée alors les sécateurs vont entrer en action pour tailler fin février, mars.

Avant les premiers bourgeons, les hommes consolident les piquets, tirent les fils. Derrière les hommes qui taillaient, les femmes avaient ramassé les javelles de sarments.

Ces brindilles étaient mises en tas au bout de la vigne et prendront le chemin de la maison pour allumer le feu de cheminée. Parfois elles servaient à faire une flambée rapide.

Autrefois dans les Couradeaux et les Champs Bodets, les vignes étaient nombreuses et très difficiles à façonner. Les rochers y sont à fleur de terre et les veines de terre argileuse sont dures à soulever à la piarde. Nos ancêtres y mouillaient leur chemise et de plus ils faisaient le chemin sur des sentiers difficiles.

On bêchait donc les rangs et on parlait de tirer le cavaillon*.

De là, avec le progrès on arriva avec la charrue à la décavaillonneuse. Cet instrument permettait de se rapprocher le plus près possible des ceps. Il restait beaucoup de terre et de mauvaises herbes à dégager entre les ceps à la piarde, travail essentiellement manuel.

Entre les rangs on passait une houe avec des fers larges. Le cheval était mis à contribution pour effectuer un travail de précision, cependant plus facile entre les rangs.

Dans notre commune, les vignes existaient dans bon nombre de familles, elles étaient connues sont les appellations des :


- vignes de la Croix Richard (aujourd’hui entièrement disparues)

- vignes des Justices (« Jutices »)

- vignes des Brousses

- vignes des Champs Bodets et quelques autres parcelles.
2010 - Les dernières parcelles de vigne en exploitation aux Champs Bodets
Presque toutes ont disparu car dans la culture moderne et intensive elles n’ont plus leur place.

Tout l’été on leur apportait des soins particuliers. On édrageonne, on étête, on traite à la bouillie bordelaise. Et en octobre, c’est le temps de la récolte.

• Cavaillon : Bande de terre située entre les pieds de la vigne, que la charrue ne peut atteindre.

lundi 20 décembre 2010

Les battages

Après la rentrée des gerbes en monticule bien façonné, on attendait l’arrivée du battage.

Primitivement le grain sortait de l’épi sous les coups répétés du fléau, puis les chevaux furent attelés à des rouleaux de pierre (sorte de meule) et tiraient inlassablement en aller et retour.


Perfection bienvenue, on connut une petite batteuse. C’était une sorte de coffre muni à l’intérieur d’un rouleau avec des piques recourbés dont l’essieu était actionné par une manivelle à bras. Il fallait de bons muscles pour lancer et entraîner l’engin.

Merveille des merveilles, la locomotive arrive pour entraîner une grosse batteuse. Des enchevêtrements de courroies, chaines et poulies allaient démarrer l’engin avec bruit mais auparavant il fallait ajuster l’alignement, la tension des courroies, caler la machine.

Courcôme une batteuse dans les années 1960
Une vingtaine d’hommes avaient été sollicités pour aider à battre. Solidarité obligée car aucun ne pouvait faire ce travail seul. Ainsi pendant une période de 3 bonnes semaines c’était le travail quotidien.

Le maître de la ferme distribuait les rôles.

Plusieurs grimpaient sur le gerbier, un ou deux coupaient les liens des gerbes qui arrivaient entières sur une sorte de plan légèrement incliné. Munis d’une fourchine en bois d’une main pour éparpiller les épis sans prendre de chardons ou de ronces dans les doigts, ils glissaient régulièrement la gerbe dans le batteur. Très souvent le coupeur recueillait les cordes au nœud pour être utilisées plus tard. Dernière destination, les liennes de moughettes et quelques autres services.


Derrière la machine, la paille arrivait primitivement en vrac, elle été transportée à l’aide d’une fourche paillère en bois. La paille s’enfilait entre les deux tiges et se déversait sur le pailler. Là, le « maître pailler » avait déjà tracé la base du pailler. Ce seul homme avait la responsabilité de cette architecture. Plusieurs autres rangeaient sous ses ordres, alors qu’une grande perche guidait la symétrie. Parfois la paille trop sèche exigeait un petit arrosage afin d’éviter le glissement. Il fallait garder ses distances par rapport aux bordures pour que rien ne bouge.

Sous les mains des coupeurs de liens la machine avalait parfois un peu brutalement et poussait un gémissement qui décalait le rythme de la locomotive.

Le grain séparé de la paille arrivait sur des secoueurs, puis passé sur des grilles aux trous différents pour sélectionner le vrai grain. Les déchets prenaient une autre destination.

Les sacs se remplissaient sur le côté et les plus jeunes hommes connaissaient d’avance leur poste. Ils montaient 80kg à l’épaule dans des escaliers étroits ou dans des échelles pour engranger la récolte dans des greniers aux lucarnes étroites.

Avec la circulation actuelle on ne peut oublier que souvent les échelles étaient utilisées sur la route.

Voici un autre poste qui n’était guère enviable. Placé à retirer les courtes pailles et pailles brisées, il ne devait pas les laisser s’amonceler. Bonjour la poussière, cet homme était méconnaissable, son mouchoir noué autour du cou et rien ne pouvait l’arrêter.

Les balles (enveloppe du grain) s’amoncelaient. De temps en temps on les tirait à l’arrière.

Les balles de blé serviront à nourrir les vaches mélangées aux betteraves – question de volume dans la panse.

Les balles d’avoine peuvent servir à garnir la literie des petits enfants.


Travaillez, travaillez, voici le coup à boire pour la soif et le moral. La machine continuait à râler pendant que les uns après les autres les travailleurs buvaient 1 ou 2 coups de rouge. C’était le travail des femmes et le bonheur des enfants qui se faisaient chahuter.

La reprise se faisait jusqu’à l’heure du repas.

Les femmes, à plusieurs voisines mettaient des grandes planches sur des tréteaux. Garnir de nappes blanches à liteaux réservées à cet usage égayait une vaisselle disparate. Peu importe, bientôt elles recevront le menu plantureux des batteries

C’est l’heure !!! A la soupe !!!


Avant de s’asseoir, nos travailleurs tiraient leurs couteaux de la poche. (Chez le paysan le couteau c’est sacré !)

Puis le bouillon de poule accompagne le vermicelle de quelques yeux. Puis la bouteille de rouge passe entre les mains pour faire godaille (un mouille pouce). Dans un tout petit reste de bouillon chaud, le vin arrivait jusqu’au pouce qui tenait le bord de l’assiette. C’était une fort bonne lampée.

Œufs durs, tomates, poulet rôti, civet de lapin, fromage, petits gâteaux secs, tel était le menu qui se présentait pendant toute la campagne. Café et pousse café.

Sous la chaleur et l’effort la journée était longue alors on cassait la croûte vers 17 heures – fromage, saucisson, confiture étaient appréciés. On fermait son couteau après l’avoir essuyé sur sa jambière de culotte et on recommençait le boulot.

Au repas du soir, on prenait le temps. La mangeaille s’arrosait copieusement en chantant et en racontant des histoires paillardes.

Sur le chemin du retour qui paraissait trop long quelques uns commençaient et finissaient leur nuit dans le fossé. Heureusement, la température était douce et l’alcool faisait tout oublier.

Les moissons

Ma petite Alice,

Voici le grand été, le soleil est très haut dans le ciel et chauffe très fort. On entend les épis crépiter ; ils chantent la « chanson des blés d’or ». On s’affaire dans les fermes – les « Brioux" sont affûtés.

couple de faucheurs avec son"briou"
Les tiges de céréales tombaient en rang et derrière les femmes faisaient les javelles qu’elles attachaient avec un lien en paille noué savamment de leurs mains.

Ces gerbes seront mises ensuite en « quintaux » tas où les épis se dressaient vers le soleil alors que la base de la javelle reposait à terre. Le séchage s’affinait ainsi jusqu’à la rentrée en gerbier. Ce n’est qu’au XXème siècle bien entamé que la moissonneuse lieuse apparut.

Une moissonneuse



Cet instrument fut fort apprécié mais c’était pour les débutants un vrai travail de montage : il fallait installer des toiles sur le tablier (gare à ne pas les mettre à l’envers) pour que les épis coupés par la scie, à l’aide de râteaux arrivent jusqu’au lien automatique qui formait les gerbes.

Auparavant, on devait installer la grosse roue motrice qui actionnait tout l’ensemble. Cette moissonneuse n’était pas en même position au travail et sur la route. Là, elle était en longueur et au « tail » dans le sens de la largeur. Elle était tractée par 3 bons chevaux.

Pour ne pas gaspiller le grain au passage de la machine on préparait un passage « au briou ». Déjà on s’était modernisé et pour ce travail on n’était pas obligé de mobiliser du personnel.

Souvent entre voisins on s’aidait, celui qui n’avait pas de moissonneuse fournissait le 3ème cheval.

Derrière cette lieuse les gerbes tombaient régulièrement et on formait les tas en suivant. Travail des femmes et bien souvent des enfants qui n’étaient pas sans maugréer car ils étaient en grandes vacances. Peut-être aurait-il fallu leur rappeler qu’elles avaient été instituées à cette époque afin d’aider à leurs parents. C’était en 1922.

Finies les moissons, il fallait rentrer la récolte en attendant les battages.

Les grosses charrettes arrivaient à la disposition des bras vigoureux qui montaient les gerbes en hauteur pour être rangées soigneusement par une autre personne.
Courcôme - rentrée des gerbes août 1961
Cahin-caha on entrait dans la cour de la ferme et on s’attelait à faire le « gerbier ». En bas de ce futur gros tas, on s’amusait presque à jeter les gerbes au pied du façonneur.

Mais plus on en mettait, plus l’affaire s’avérait difficile. Tout à fait en haut, on devait pour passer la gerbe se mettre sur une échelle sur laquelle on s’appuyait fortement. Exercice un peu périlleux. On était heureux au moment de coiffer le gerbier avec les dernières gerbes. On avait alors gagné.

Là, ces gros tas resteront jusqu’à ce qu’ils soient battus.

- J’ai bien écouté ton récit, mamie, je ne pouvais imaginer un tel déploiement de travail autour des récoltes, autrefois. Je regarde les moissonneuses batteuses, ces gros engins qui galopent dans les champs. Derrière elles tout est fini. Certaines broient même la paille ; là, c’est le grand saut dans le progrès !!!

- Chez nos aïeux, on se réunissait, on mangeait ensemble, pause bien méritée après avoir manipulé la faux, des heures durant. C’était le moment où la maîtresse de maison portait le déjeuner aux moissonneurs. Sans fantaisie, et sans souci d’hygiène exagéré, elle sortait le « fricot » d’un torchon bien lessivé. Chacun y allait de son couteau tiré de la poche et taillait dans le gros pain, de longues tartines. Inséparable, on l’essuyait à la jambière de la culotte avant de le fermer.

Les œufs durs, les grillons, du salé froid et du fromage étaient du menu. On arrosait tout çà avec un peu de vin ou de la piquette. C’était convivial ce repas improvisé pris assis à « cul-piat » dans les champs.

- Et le travail reprenait ?

- Oui, jusqu’au soir bien tard. Mais dans l’après-midi, on faisait « collation » en mangeant les quelques restes du midi. Le sommeil d’une nuit tranquille, permettra de recommencer le lendemain. Peut être que nos moissonneurs allaient rêver, se voyant tout en sueur s’essuyant du revers de la main, dans l’odeur de la transpiration et de la paille coupée.
Moisson mécanisée - Courcôme août 1960

samedi 18 décembre 2010

On fait les foins

Ma chérie, le coucou a chanté au printemps, tu ne l’as pas entendu bien sûr, aujourd’hui, c’est le grillon qui stridule dans les foins et les herbes.

Les oiseaux ont déjà niché dans les prairies et voici la fenaison ; période très intense car le temps guide le travail, persécutant le paysan quand l’orage menace.

En quelques instants s’évanouit l’espoir d’avoir une bonne récolte. Le foin qui s’est mouillé n’a plus de qualité.

On commença par faucher à la faux, à plusieurs, car l’entraide facilite la rapidité du travail. On embauche le « tail ». La faux est appelée « le dail ou dall».

La faucille



Les faucheurs devaient aiguiser leurs outils avec une « pierre à aiguiser » qu’ils portaient à la ceinture, enfermée dans un « causi » fait quelque fois dans une corne de vache creusée. Chez nous les anciens parlaient de battre le dail.

La fauchaison et l'andain
L’herbe tombait à leur gauche et formait un andain.

Divers modèles de faux
Celui-ci restera exposé au soleil pour sécher sur une face. Il sera ensuite retourné à la fourche à 3 pions pour sécher sur l’autre côté. Les prairies naturelles fournissaient ce fourrage avant l’arrivée du trèfle, de la luzerne que l’on nomme prairie artificielle.
Fauchaison à la faucille
Le paysan relevait ses manches, la main droite sur un petit manche et la gauche en haut du grand manche. Avançant à enjambées régulières la lame tranche l’herbe de droite à gauche et forme un andain. L’herbe fraîchement coupée va donc sécher. Elle sera retournée par les femmes à l’aide de fourches.


Dans un geste inlassablement répété elles éparpillent et soulèvent le fourrage, elle le fane.

Devenu sec, le passage du râteau rassemblait l’herbe pour faire des tas, des « meulons » où se terminera le séchage avant la rentrée à la grange. (Faire une meule de foin se disait "amelounàe")

On faisait ces petites meules en retournant la fourchée à l’envers pour obtenir un sommet un peu arrondi qui éventuellement aurait protégé de la pluie (d’une façon précaire).

La corvée n’est point terminée, loin de là. Ce sont les provisions d’hiver qu’il faut rentrer. On scrute le ciel, le soleil brille alors, chapeau sur la tête, un homme charge alors que sur la charrette un autre dispose le foin. Il est rangé par couche de l’avant à l’arrière du véhicule tiré parfois par deux bœufs suivant l’importance du convoi.

Les femmes, le mouchoir de tête remplaçant la coiffe, car il n’est pas fragile suivent avec le râteau pour laisser le terrain propre et ne rien perdre.

Après les bœufs pour le charroi on attela les chevaux plus rapides.

Il fut une période où les grosses charrettes bleues (bleu caractéristique !) étaient presque aussi lourdes que le fourrage. Les bandages en fer des roues cahotaient sur les chemins pierreux et poussiéreux. L’opération de chargement se terminait par un câblage. Devant la charrette et derrière, un tour permettait d’enrouler la corde qui tenait ainsi toute la masse.

Pour « triquer » comme on disait il fallait utiliser une « tavelle » (touret que l’on enfilait dans des trous aménagés sur le rouleau). Quand c’était trop dur, on les utilisait par 2, une dans chaque main. Ainsi on arrivait à bon port et si par malheur, le chargement se disloquait on avait vu « le loup ». Pas avantageuse l’aventure !!! Il fallait recommencer et ce n’était pas du gâteau de démêler tout ce fatras.

Dans les murs, une « boulite », petite fenêtre est prête à recevoir ces provisions d’hiver. Cette dernière manipulation n’était drôle pour personne. Notre brave homme tirait le foin sur le véhicule, alors que sa femme recevait la fourchée par ce trou trop étroit à son dire. Elle devait le ranger au fond du ballet et quand elle retournait une autre fourchée l’attendait. Un peu de temps était nécessaire car il fallait bourrer le foin sous les « rasis » et éviter les poutres. Parfois la brave femme se voyait ensevelie et rouspétait d’une voix forte.

Bien souvent un enfant intervenait pour aider sa mère à défaut on s’entraidait. Un prêté pour un rendu, c’était parfait.

La récolte se mécanisa assez rapidement et l’on vit apparaître la faucheuse à cheval.cet instrument réalisait le même travail.

Moins fatigant pour l’homme qui était assis sur un siège incorporé. Deux chevaux tiraient ce nouvel engin.

Le fanage resta quelque temps manuel. La saison des foins devint moins pénible quand on apprivoisa outre la faucheuse, la râteleuse tractée par un cheval. Elle rassemblait les andains pour faciliter la mise en tas.




- Mais Mamie, si les vaches et les autres bêtes pouvaient parler, sauraient-elles exprimer de la reconnaissance ? Toute cette fatigue c’est pour elles !

- Les vaches, les chèvres donnent du lait en récompense de leurs soins, ma chérie !

Les chevaux sont des bêtes de somme auxquelles on demande la force et l’obéissance à longueur de vie !

Révise bien tes leçons pour recueillir une belle moisson – la réussite !!! Ensemble, nous décrirons les moissons d’autrefois. A plus tard.

Mamie

* boulite. nf. petite ouverture dans un mur, lucarne, œil-de-bœuf, guichet.


* rasi. nm. portion du mur qui touche à la charpente.


jeudi 16 décembre 2010

Les cultures de printemps

Mois après mois les jours s’allongent, le froid cède la place à des jours plus ensoleillés et un peu de chaleur s’installe doucement. Alors fini le soi-disant repos hivernal.

On s’affaire à nouveau dans les champs pour roulotter les céréales : blé, orge et avoine.

On sème dès février l’orge de printemps et l’avoine. Dans cette orge de printemps on ajoutait la graine de luzerne à la main d’un geste moins large et par petit à coup on laissait glisser la fine semence, futur fourrage de l’année prochaine. Il arrivait même suivant le temps de pouvoir la faucher dès la première année, on disait alors on fait de la « fenarde* ».

Que diraient les chevaux sans leur « picotin » ? Eux qui apprécient avec un léger hennissement l’arrivée du « gâteau final » de leur repas. L’avoine engrangée doit attendre jusqu’à la prochaine récolte.


Ce rouleau lisse primitivement en bois, puis en tôle d’acier assurait le tallage des céréales d’automne et nivelait la terre des cultures de printemps.

Point de désherbant, on n’utilisait pas de pesticide puisque les maladies n’étaient point répandues à cette époque.

La herse en ayant détruit une partie, on prenait une bêche pour couper les ronds de chardons qui malheureusement repoussaient car 1 de coupé, 10 de sortis. Mais pendant ce temps le blé prenait le dessus et s’en sortait plutôt bien.

Ainsi la nature allait faire le reste et préparer la moisson. L’épandage d’un peu d’engrais se glissera petit à petit dans les mœurs.

La terre se réchauffe lentement. Il faut attendre patiemment pour semer.
On ameublit la terre avec le cultivateur et la herse et voici parti le grand moment des semailles de printemps.


Tout se passe en mars, avril. On brasse les « garets ». Voici le moment de mettre en terre les graines de betteraves. Le cultivateur traçait d’une manière impeccable les sillons avec une charrue (Dombasle). Si parfois il déviait un peu on disait, oh « il y avait du vent » ce jour là.


Il fallait une bête docile et un savant coup d’œil pour tenir les manchons dans la bonne direction.

Sur ces sillons fraîchement formés on allait distribuer les graines (à savoir qu’une seule graine contient plusieurs germes). Marchant le premier en marquant du talon l’emplacement, l’homme était suivi bien souvent par sa femme qui enfouissait les graines déposées dans ce « poquet » avec le pied. A la levée un gros paquet de jeunes plants apparaissait. Pour obtenir une betterave longue et grosse, il fallait les éclaircir. Toujours penché sur le sillon on enlevait les plants pour n’en laisser qu’un seul qui allait se développer à son aise jusqu’à la récolte.

L’heure de planter les pommes de terre a sonné. La charrue entre à nouveau en action. On dépose le plant dans le fond de la « rège ou réjhe* » et un autre passage de charrue refendait le sillon pour couvrir la pomme de terre.
On en cultivait une grandeur inférieure à celle des betteraves car elle assurait la nourriture de la famille, les petites allaient en « beurnée » pour les cochons et les volailles. Fameuse beurnée dont on retirait quelques échantillons d’une saveur inoubliable !

Arrachage des pommes de terre
Ces petites pommes de terre étaient mises en sac sur le terrain séparées des grosses. Pour reconnaître ce qu’ils contenaient les sacs étaient marqués avec une poignée d’herbe pour être mis en tas chacun dans un endroit différent.
Courcôme août 1961 - ramassage des pommes de terre
- Il est vrai – Mamie que l’on consomme beaucoup de pommes de terre. Moi, j’aime les frites !! Mais quelle est leur origine ?

- Et bien, merci à M. Parmentier qui au cours de son séjour en Allemagne reconnaît les avantages de la pomme de terre, Il en défend les qualités en 1778 en écrivant un mémoire et en la présentant au roi Louis XVI.

- Il y a très longtemps qu’elle est connue ?
- Importée du Pérou en Europe et cultivée en Italie dès le XVIe siècle, en Alsace et en Lorraine au XVIIe siècle, adoptée dans le Midi, en Anjou et dans le Limousin, mais repoussée par le reste de la France.
Il a fallu attendre le XVIIIème siècle dans nos régions pour la cultiver. Comme toute nouveauté, il y eut certainement des réticences pour l’utiliser et elle était bien souvent réservée à la nourriture des animaux. Maintenant elle entre dans les menus, sous toutes les formes. Merci, M. Parmentier, vous avez été et vous restez un grand bienfaiteur !!!

- Oui – alors !!!

* fenarde. nf. regain ; herbe qui reste quand les blés sont coupés.

* réjhe : sillon